Ce mois-ci, j'ai le plaisir de vase-communiquer avec Stéphane Murat. Nous sommes partis de l'idée de disparition, de déambulation et de lieu pour écrire chacun un texte. Le sien est illustré d'une photo prise par lui puisqu'il est "photographe marcheur". Mon texte "Orage au-dessus d'un jardin" est publié sur son blog "Notes photographiques" ici.
Une
disparition
C’est un homme qui faisait partie du quartier. Depuis
tout petit je le voyais. Il était toujours seul. Il portait un
manteau noir. Ses cheveux étaient noirs aussi. Nous, les enfants en
avions peur. Nous l'appelions le corbeau. Il habitait seul dans une
immense maison magnifiquement décorée de frises, de statues et de
bas relief en stuc et en plâtre.
En grandissant, j'appris qu'il était le dernier d'une
lignée de statuaires : la famille Giscard. La maison où il
vivait avait connu son heure de gloire au début du XX ème siècle.
Elle abritait alors un atelier qui avait un rayonnement
international. Cette maison était représentée dans les expositions
universelles. De cette grandeur, il ne restait plus que cet homme
solitaire et sa demeure. Une partie de l'immeuble était devenue un
squat, le plus beau de la région.
Et puis un jour, il a disparu du quartier. Il est mort
seul dans sa riche bâtisse, de vieillesse, sans héritier. Il a
légué la maison, les moules et les statues à la ville. Des
camions sont venus, ont déménagé les œuvres. Le squat a été
rénové puis loué. Les ateliers sont vides. La maison de maître
l'est tout autant. Les moules et les statues prennent la poussière
dans une réserve. Les herbes folles prennent possession de la cour
pavée. Cet homme qui faisait partie de mon quotidien était un
inconnu. Je ne lui jamais adressé la parole !
Dans le quartier, je suis ami avec un jeune brésilien
rasta, Francisco, qui vend des bijoux artisanaux sur les marchés. Je
ne me rappelle plus comment mais nous sommes venu à discuter de Mr
Giscard. Francisco le connaissait bien. Ils étaient amis. Le vieux
monsieur le soutenait dans sa démarche artistique et artisanale. Ils
s'étaient vus la veille de son décès. C'est mon ami qui inquiet de
ne plus le voir avait prévenu les secours. Je suis heureux que ce
vieil homme ait eu au moins un ami. Sa solitude me rendait triste.
Aujourd'hui une association essaie de redonner vie à la
Maison Giscard : en faire un musée, un centre culturel…
Réaliser le vœu du vieux monsieur lui permettrait de rester en vie
dans les mémoires. La maison fait partie d'un circuit touristique
car c'est l'une des plus belle de Toulouse. Je souhaite vivement que
cette demeure revive et soit à nouveau un lieu de création
artistique et culturel. Il y a la place mais un manque de volonté
municipal. Et un manque de moyens mis en œuvre. Alors la bâtisse
s'enfonce dans l'oubli comme les anciens propriétaires des lieux.
De la vie de cette famille ne restent que quelques
traces inscrites sur la façade : objet de curiosité, étude
d'érudit, présence du passé, décrépitude d'un faste ancien.
Rappel sur le principe des Vases Co : Tiers Livre (http://www.tierslivre.net/) et Scriptopolis (http://www.scriptopolis.fr/) sont à l'initiative
d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun
écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les
mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour
produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez
l’autre.